Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le Grand @telier de Lisbonne
21 octobre 2011

« PRIMITIFS PORTUGAIS. 1450-1550. LE SIECLE DE NUNO GONCALVES.»

 

« Primitifs portugais. 1450-1550

Le siècle de Nuno Gonçalves »

 S

En novembre 2010, s’ouvrait à Lisbonne une grande exposition. Cent ans après la découverte du chef d’œuvre de Nuno Gonçalves, le Retable de Saint Vincent, soixante-dix ans après l’exposition de 1940 sur le même thème, elle a fait, en exposant plus de 160 œuvres majeures, dont quelques grands retables exceptionnellement reconstitués, le point sur l’état de la recherche en histoire de l’art. On trouvera ci-dessous, traduits en français, 3 articles du catalogue, rédigés par les meilleurs spécialistes de la peinture portugaise des XVe et XVIe siècles, José Alberto Seabra Carvalho et Joaquim Oliveira Caetano.

Primitivos-rostos+logo_net

Cent ans de Primitifs portugais

José Alberto Seabra Carvalho[1]

Commissaire de l’exposition

(Article publié en 2010 dans le catalogue de l'exposition Primitivos Portugueses, 1450-1550. O Século de Nuno Gonçalves, traduit du portugais par Mireille Perche)

Jusqu’en 1910, la peinture portugaise du XVe siècle était inexistante dans les histoires de l’art européennes. Emile Bertaux disait en 1908 : « Le séjour de Jan van Eyck au Portugal [en 1428] n’a pas réveillé l’art local de son sommeil. C’est seulement à l’époque manuéline que nous voyons se constituer une école de peinture flamingo-portugaise qui évolue dans le sillage des maîtres de Bruges et d’Anvers au commencement du XVIe siècle ». Cependant, peu de temps après, en 1911, le même Bertaux, dans le volume IV de l’encyclopédique Histoire de l’art (publiée à Paris sous la direction d’André Michel), consacrait quatre pages enthousiastes à Nuno Gonçalves, « peintre de l’épopée portugaise » et à son œuvre majeure, les Panneaux de Saint-Vincent, révélés et analysés dans l’ouvrage de José de Figueiredo (1910). Le livre (Arte portuguesa primitiva. O pintor Nuno Gonçalves) accompagnait la première exposition publique de l’œuvre après sa « redécouverte » et sa restauration par Luciano Freire, dans une des salles de l’Académie des Beaux-Arts de Lisbonne (mai 1910). L’impact international de l’événement, dans les milieux savants et les revues spécialisées, fut considérable, car on reconnaissait non seulement le génie « d’un portraitiste majeur de la peinture européenne », mais aussi l’originalité d’une « école portugaise », jusque là perçue comme simplement dérivée des primitifs flamands. « L’histoire de l’art du XVe siècle, au Portugal, se reconstitue aujourd’hui, pour ainsi dire sous nos yeux », affirmait cette année-là Salomon Reinach devant une assemblée d’universitaires français, élargissant encore l’impact de la découverte du maître portugais en lui attribuant un portrait récemment acquis par le Louvre, le mystérieux Homme au verre de vin, et encore un autre, daté de 1456, appartenant à la collection des princes de Liechtenstein. La réputation et la fortune critique de Nuno Gonçalves comme « fondateur » des Primitifs portugais et comme protagoniste de la grande peinture européenne du XVe siècle étaient ainsi lancées.

Cent ans après cet épisode marquant de l’histoire de l’art portugais (et de son internationalisation), on doit inévitablement associer l’évocation d’un autre événement décisif pour la fortune critique des Primitifs portugais : l’exposition qui, en 1940, réunit au Musée national d’art ancien de Lisbonne des centaines de peintures du siècle qu’on associait conventionnellement à cette désignation (1450-1550). Si la notion d’école portugaise, avec pour socle Nuno Gonçalves, fut « inventée » en 1910, c’est en 1940 que fut faite la démonstration de son existence, avec la grande exposition dirigée par Reynaldo dos Santos. Dans les deux cas, on réinventait un passé pour pouvoir construire une identité, une marque d’origine nationale, revendiquée patriotiquement en 1910, magnifiquement explorée en 1940, comme certitude et triomphe. La section documentaire de notre exposition prétend faire une synthèse des événements et des protagonistes de cette époque et le catalogue tente une réflexion critique sur les tentatives de « portugalisation » de la peinture portugaise dans ce  contexte culturel, en convoquant les débats significatifs, les parallèles, dans des domaines comme l’ethnologie ou l’archéologie  durant les dernières décennies de la monarchie constitutionnelle et de la Première République.

Contrairement à une des intentions de l’exposition de 1940, notre exposition ne veut pas faire la synthèse de l’art pictural au cours de la période désignée, de manière un peu ambiguë, comme le « siècle de Nuno Gonçalves ». Par conséquent, elle ne propose pas de récit daté et articulé, à partir du peintre du roi Alphonse V, pas plus qu’elle ne se penche sur les interprétations de son œuvre liées au Retable de Saint Vincent. Ce qui nous intéresse ici, c’est de tenter de nouveaux questionnements et de nouvelles pistes de lecture sur le terrain, complexe et pas toujours bien traité sur le plan historiographique de cette période (sans oublier les réalités de la peinture murale de l’époque), en veillant à souligner les problèmes et les mérites des autres maîtres, en mettant en scène dans les salles du musée la reconstitution spectaculaire de certains retables. Nous avons aussi souhaité présenter de nouvelles méthodologies pour l’analyse des œuvres en question, en faisant intervenir le travail de laboratoire, d’abord avec une de ses composantes les plus importantes, la réflectographie infrarouge, en en faisant l’aspect le plus novateur de l’exposition. Il est trop tôt, cependant, pour tirer des conclusions « définitives » du nouveau corpus documentaire obtenu à partir de la matérialité des œuvres ; il y a encore beaucoup à faire pour que l’analyse, comparative, des nouvelles données relatives au dessin sous-jacent puisse être explorée de manière exhaustive. C’est pourquoi cette exposition ne constitue pas un point d’arrivée, ni l’opération de communication d’une recherche aboutie. Au contraire, il s’agit de présenter le nouveau point de départ de l’approfondissement des connaissances sur notre patrimoine national des XVe et XVIe siècles, en le montrant au public, disons-le, d’une manière encore jamais vue… Ce catalogue reflète ce parti pris, en substituant aux habituelles fiches critiques des pièces exposées des essais centrés sur les principaux axes de l’exposition, favorisant ainsi la confrontation entre les œuvres et leur réinterprétation grâce aux nouvelles données.

Ajoutons encore que la sélection des peintures venues de l’étranger a été guidée par une série d’intentions bien précises. Précédé par une belle Madone (cat. 1) de Alvaro Pires d’Evora,

 Homme verre de vin

le portrait du Louvre, l’Homme au verre de vin – qui en raison de son apparence laïque, fait figure d’icône « républicaine » –  a été placé, pour mieux les confronter,  dans la même salle que le Retable de Saint Vincent. De Pologne sont venues trois petites œuvres de peintres manuélins, deux d’entre elles permettant la reconstitution intégrale du retable du Paraíso (cat. 79-90).

Elles avaient été acquises dans les années 1840-1850 par le comte Atanasius Rackzinsky, personnage fondateur de l’histoire de l’art portugais ancien. Une Crucifixion attribuée à Frei Carlos (cat.51) est venue de Bruges, fournissant ainsi l’occasion d’un examen comparatif visant à valider ou non une attribution encore incertaine. Il est regrettable que des raisons de conservation aient empêché le voyage du Saint Vincent du Metropolitan Museum de New York.

Il nous reste à dire que le terme « Primitifs », utilisé au début du XXe siècle pour désigner les maîtres antérieurs à la « Renaissance », et aussi les peintres emblématiques d’une puissante culture nationale, apparaît aujourd’hui archaïque et peu opérationnel. De fait, désigner comme « primitifs » des maîtres comme Jan van Eyck, Jean Fouquet ou Nuno Gonçalves peut sembler surprenant voire inadéquat. Mais un tel nom possède une charge historiographique et notre exposition, sans être passéiste, se veut commémorative et revendique un certain classicisme des idées. La capacité de synthèse  d’une telle désignation, même si on la trouve un peu démodée, demeure indépassable.

  


[1] In Primitivos Portugueses, 1450-1550. O Século de Nuno Gonçalves, catalogue d’exposition, Lisbonne, MNAA/Athena, 2010, p. 14-16. Traduction de Mireille Perche.


Publicité
Publicité
Commentaires
Le Grand @telier de Lisbonne
Publicité
Archives
Le Grand @telier de Lisbonne
  • Ce blog en français présente l'actualité et l'essentiel de la recherche sur l’histoire de l’art au Portugal à la Renaissance, soit entre 1450 et 1550 : articles ou extraits d’ouvrages écrits par les meilleurs spécialistes, images, colloques, expositions...
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité